INTRODUCTION
« Cherchez et vous trouverez » (Lc 11, 10). L’acte le plus difficile et le plus nécessaire en spiritualité, c’est de chercher. Celui qui s’arrête à de fausses certitudes, à des opinions, à des demi-vérités, à des dogmes, et qui, plus généralement, laisse les autres chercher pour lui, se coupe de la solution. Car ici nous ne sommes pas en mathématiques. Le fait de chercher fait partie de la solution, la transformation intérieure que cela réalise est la solution. Dans ce domaine, on ne peut voir que ce que l’on est préparé à voir. Les vérités se révèlent à un être prêt à les recevoir de façon intime. Un être qui s’est transformé au fil de ses recherches, des expériences ancrées dans son coeur, son esprit et son âme. Transformation, voilà bien le mot qui caractérise la spiritualité. La connaissance transforme tout autant que la transformation de l’âme permet l’accès à cette connaissance. Voilà une des raisons pour lesquelles la transmission a toujours été orale. De quelqu’un qui a fait un peu de chemin à celui qui commence à cheminer. L’idée se laisse voir dans ce qui se dégage du maître, de son vécu, de sa chair et de son sang. L’idée est incarnée. Il y met tout son coeur. Les enseignements initiatiques sembleraient surtout n’être mis à l’écrit qu’à partir du moment où la continuité de la tradition orale est menacée. Mais cet écrit ne suffit pas pour délivrer le sens profond de l’enseignement, caché pour ceux qui ne sont pas préparés, initiés. Si l’on songe à cela, on peut comprendre le contexte de la rédaction des Évangiles, dans une tradition qui a plutôt été orale dès l’origine, si l’on veut bien admettre, pour l’instant, qu’il y a une dimension initiatique dans le christianisme primitif.
C’est pourquoi, si j’écris, il ne faut pas se laisser piéger par les détails et les mots. Ce sont des images que chacun doit s’approprier. Chacun a un chemin propre et chacun fera ses propres découvertes. Ce livre vise à donner un plan d’ensemble, essentiel pour se repérer dans les transformations (kheperou en égyptien) que doit vivre tout homme ou femme qui se destine à la réalisation de soi-même. Il est donc très loin d’être suffisant. Son but est de remettre en perspective ce que vous avez peut-être déjà appris ou allez apprendre. Que cela vous fournisse une lumière nouvelle. Il ne s’agit pas d’un cours magistral dont les éléments seraient incontestables. L’ouvrage constitue une série d’hypothèses structurées et liées à un chemin individuel. L’ensemble de la théorie est perfectible, car elle se veut une expression synthétique du processus spirituel, c’est-à-dire du développement de l’esprit, en se fondant sur un certain nombre de doctrines et de courants qui semblent converger.
Ce livre répond à une exigence. Retrouver de la cohérence dans un monde spirituel qui veut se développer en dehors d’elle, sans réelle unité. L’astrologie n’a aucune base solide. Le christianisme se perd dans un culte du sauveur. « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Il n’y a de bon que Dieu seul. » (Lc 18, 19) nous rappelle-t-il. L’Égypte, cette Atlantide de la spiritualité, a disparu sous les flots des armées étrangères et avec elle toute son imposante tradition spirituelle, enfermée dans l’accusation de polythéisme. Surtout, l’initiation, qui était son moyen de transmettre la science, est devenue totalement obscure aujourd’hui pour nous, même s’il semble que nous en retrouvions des traces contemporaines, notamment dans la franc-maçonnerie. Et celle qui garde tous ses mystères, l’alchimie, est synonyme d’une complexité sans nom, elle qui, pourtant, doit, étant donné son origine égyptienne, avoir des liens avec l’initiation.
Longtemps, l’Église romaine s’est opposée aux alchimistes, qui enrichissaient pourtant ses symboles. C’est cette opposition entre les alchimistes et les autorités chrétiennes que ce livre entend fragiliser par un retour aux sources. Nous souhaitons que la dimension initiatique et alchimique des Évangiles soit plus approfondie. Au-delà donc de la lecture littérale et partielle de ces textes qui permet tout de même de s’imprégner de la dimension d’amour, sans pouvoir vraiment s’y ouvrir totalement, faute d’un esprit préparé, il y a une lecture initiatique qui doit permettre, quant à elle, pour les plus audacieux, de rendre présent cet Amour de Dieu sur terre, dans notre vie. L’or est le symbole de cette éternité manifestée. Si Dieu aime en effet tous les hommes, les bienfaits de cet Amour ne peuvent être reçus directement que par ceux qui ont rénové leur « outre » (voir Mt 9, 17), leur âme, pour accueillir leur esprit. Malheureusement, Dieu ne peut donner à celui qui persiste à s’attacher à la vieille outre qu’est son esprit moralisateur et égocentré. Celle-ci peut recevoir plus ou moins bien l’amour de son prochain, mais en aucun cas l’Amour divin, qui la briserait, qui se présenterait pour elle sous la forme d’événements profondément déstabilisants, puisque contraires à ce que son ego attend pour le contenter. « Si tu ne veilles pas, je viendrai comme un voleur » (Ap 3, 3) peut ainsi se traduire par « si tu n’as pas le souci de l’éveil, si tu n’es pas en recherche du royaume, je serai pour toi un voleur. » Tu auras le sentiment que je veux te prendre quelque chose… Tes intérêts immédiats. Car ce que je te donne tu n’es pas encore capable de le recevoir. L’homme désireux de se lier intimement à Dieu doit ainsi procéder au travail de rénovation de sa vie et de son âme. C’est à cela qu’appelle le message de Jésus et c’est à cela que ce livre invite ceux qui en ressentent la nécessité. Ainsi, seuls ceux qui peuvent entendre, par vocation, sauront recevoir avec justesse cet enseignement, qui consiste à encourager un éveil du germe divin et sa croissance chez celui qui l’écoute, tandis que les autres persisteront à vouloir y trouver un sens moral de punition des injustes et de rétribution des justes, qui est présent jusque dans les interprétations au sein des Évangiles. L’alchimie dont il est ici question n’est en aucun cas l’alchimie opérative, qui a pour but la transmutation des métaux, mais bien l’alchimie spirituelle, chemin initiatique de la transformation intérieure, du développement de l’esprit. S’il semble que l’alchimie spirituelle tienne ses symboles et opérations de l’alchimie opérative, on ne peut poser un rapprochement total entre ces deux aspects, qui sont pourtant pour beaucoup d’alchimistes inséparables. Pour Christian Jacq, l’alchimie est « la transmutation de l’individu profane et sa divinisation1. » L’alchimie est l’art des disciples de Thot, le dieu égyptien médecin-magicien, Hermès pour les Grecs. Le terme Kêmi, signifie en effet la « Terre noire », c’est-à-dire l’Égypte. C’est donc un art d’origine égyptienne et qui est égyptien dans sa conception, puisque, pour un Égyptien, ce qui se passe dans la nature est une image de ce qui est en haut, dans le monde spirituel des principes. Voilà pourquoi il est essentiel d’étudier ici la spiritualité égyptienne et ce qu’elle peut révéler de la voie initiatique. La résurrection, thème lié au mythe d’Osiris, est en quelque sorte l’un des buts de l’alchimie. Qui est guéri par la voie alchimique, qui « ressuscite », « retrouve la vie et la vue », peut à son tour être jugé digne de guérir autrui, tout comme Jésus, « délivré de Satan » après quarante jours symboliques dans le désert, professa l’art de la guérison et de la résurrection. L’hermétisme, qui inclue l’alchimie, s’est développé vers le iiie siècle av. J.-C. dans la région d’Alexandrie. L’influence de cette doctrine semble avoir touché les premiers chrétiens.
L’alchimie propose une purification du corps, c’est-à-dire des schémas de vie (nigredo, oeuvre au noir), une mort au profane, qui sera suivie d’une spiritualisation de l’âme (albedo, oeuvre au blanc) avant l’intégration de la lumière spirituelle dans la vie concrète de l’initié (rubedo, oeuvre au rouge), qui aboutira à une profonde régénération (viriditas, oeuvre au vert). Nous devons transmuter notre « plomb », notre façon première d’être dans le monde qui nous alourdit, nos « métaux vils », nos désirs déviants issus du mental, en « or », c’est-à-dire le degré le plus élaboré de notre être, son « accomplissement », le reflet le plus parfait de notre être profond. Nous devons intégrer tous les métaux en nous. Ils représentent les étapes du processus, nos différentes mues. C’est ce qui est figuré par les signes du zodiaque. C’est pourquoi nous étudierons ce que représente pour nous chaque signe, en tant qu’il a une utilité dans la voie initiatique. Il convient, en intégrant la réalité du signe, le désir représenté par le signe, de ne plus y être identifié et ainsi de se « dévêtir » d’une peau qui recouvre la réalité profonde. « Chaque changement d’état n’est qu’une épuration, un “dévêtement” successif des formes de transition accumulés sur Terre et qui obscurcissent [la] vision de la réalité lumineuse2. » Le zodiaque n’est donc pas premièrement ici un outil de divination, mais bien un instrument de l’initiation.
Dans ce livre, on peut donc découvrir une façon de lier l’astrologie, l’alchimie, le christianisme, la psychanalyse jungienne et la culture religieuse égyptienne. On peut parler de « synthèse ». L’astrologie n’est pas vue ici comme la science des influences astrales, mais comme une science des symboles qui permet de connaître les différentes facettes du rapport entre l’homme et son Soi, le divin en lui. Le christianisme n’est pas l’adoration du Fils de Dieu, mais la recherche du Royaume des Cieux en soi selon les mots mêmes de Jésus. Dans tout cela, l’alchimie est la science des transformations qui mène, par un chemin déterminé, d’un état d’extériorité par rapport au Soi (l’idéal), qui constitue un « lourd fardeau », le mental, le plomb, à un état d’union à celui-ci qui rend le « fardeau léger » (Mt 11, 30), l’or (la réalisation), la présence à soi. Être loin du Soi, c’est, comme Osiris, être comme mort, happé par sa condition d’animal humain, être le jouet de la multiplicité, être décomposé. Être près du Soi, c’est, comme le fils prodigue de la parabole, retrouver la vie. Si l’alchimiste y voit l’or et la pierre philosophale (le minéral étant le règne le plus bas pour nous, mais inversement le symbole de l’éternité des divinités égyptiennes de par sa fixité), le chrétien y trouve le Royaume des Cieux. Ces deux démarches se valent. La première exprime symboliquement le sens de la deuxième. Dans les deux cas, le but est l’éternité, l’incorruptibilité, qui caractérise l’or.
Nous allons étudier la pensée à la base de l’alchimie, la pensée initiatique égyptienne, en mettant en perspective les liens qui semblent exister entre celle-ci et la pensée chrétienne telle qu’elle apparaît dans les symboles de l’Apocalypse de saint Jean. Cela nécessite un exposé sur les symboles égyptiens. Il apparaîtra alors que l’astrologie est une composante importante de la pensée initiatique, si l’on considère un zodiaque qui prend ses racines dans le signe du Cancer et progresse en sens inverse du zodiaque habituel. En faisant le tour du zodiaque sous l’angle psychologique, nous verrons que le message des Évangiles chrétiens a une forte connexion avec celui-ci et que la transmutation de l’énergie d’un signe peut être associée à une leçon des Évangiles. Chaque signe astrologique apparaît en effet comme « transmutation d’un désir » à laquelle appelle le message initiatique de Jésus. Qui dit initiation dit étapes. L’alchimie peut ainsi s’envisager sous l’angle des opérations, chacune d’elles trouvant un écho dans le zodiaque et les récits mythiques, légendaires, ou les simples oeuvres de fiction héroïque. Ayant accompli ce parcours transdisciplinaire, le lecteur sera à même de construire ses propres représentations dans ces différents domaines. Faire chemin vers soi, c’est faire preuve d’initiative, dans un univers borné par les auteurs emblématiques de l’antiquité et du temps présent. On ne fait pas chemin seul. Mais on ne se laisse pas pour autant limiter dans sa conquête intérieure. Car personne n’a la solution pour vous, mais chacun peut la mettre en lumière.
« Cherchez cette Pierre en vous-mêmes et vous la trouverez ; demandez la Lumière en la sincérité profonde de votre coeur et vous la recevrez3 »
« Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : Il est ici, ou : Il est là. Car voici, le royaume de Dieu est [en] vous. » (Lc 17, 20-21)
1 Christian Jacq, Pouvoir et sagesse selon l’Égypte ancienne, Paris, Xo, 2003, p. 104.
2 Isha Schwaller de Lubicz, Her-Bak Disciple, Paris, Champs-Flammarion, 1956, p. 300.
3 Oswald Wirth, Le Symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’alchimie et la franc-maçonnerie, Paris, Dervy, 2012, p. 120.